Faire laboratoire du dehors
Liliana Motta – Septembre 2022
Histoire et récit des expérimentations du laboratoire du dehors, démarche interdisciplinaire et localisée qui porte attention aux paysages délaissés à travers une cartographie patiente et des gestes économes.
Le paysage est une réalité qui représente des enjeux scientifiques, politiques, philosophiques, esthétiques, et sociaux.
La gestion différenciée de ce paysage n’implique pas d’imposer une nouvelle manière, une nouvelle mode, une nouvelle recette, mais tout au contraire de s’adapter à chaque lieu, à chaque problématique, qu’elle soit écologique ou sociale.
Les lieux sur lesquels nous travaillons, souvent délaissés par l’activité humaine, sont encombrés de restes, de décombres, d’usages clandestins, d’appropriations passagères. Ces lieux « retournés » au sens propre comme au figuré, vedettes d’un temps ou reliquats de paysages ordinaires, finissent sur le bas-côté des villes et du projet collectif.
Ce dehors est en quelque sorte l'antinomie de l'aménagé, du maîtrisé, du soigné, du tout, du propre, du rassurant, du sûr, du quant-à-soi. La pensée du dehors a pour but de faire passer de l'empirique au théorique et du théorique à l’action les réflexions scientifiques et les expériences liées au terrain : pratiques agronomiques, forestières, ingénierie écologique, ou encore génie végétal et techniques horticoles.
Comment faire le transfert des acquis écologiques dans la pratique ? Et comment de nombreuses expériences de terrain peuvent-elles entrer dans l’enseignement d'un art indiscipliné du dehors ? Cela nécessite des connaissances scientifiques, une pensée philosophique et une politique humaniste qui ne reposent pas uniquement sur les végétaux mais également sur les hommes qui vivent avec eux.
Il est temps que la gestion différenciée entre dans l’art du jardin, qu’elle intègre l’intelligence des connaissances écologiques en l’additionnant à la valeur artistique, esthétique qui aujourd’hui lui fait défaut.
C'est en 2009 que naît le laboratoire du dehors, à partir de ces questionnements, cadre théorique et pratique d'une « gestion différenciée », qui met en œuvre ce manifeste du dehors.
1. Préambule et fondements - Un art indiscipliné du dehors
On pense ensemble. La pensée des philosophes, les recherches des scientifiques, les expériences artistiques au même moment, chacune de leur côté. Les idées naissent dans une société déterminée et elles n’apparaissent pas sans une histoire qui les précède et une histoire qui va les faire avancer. La gestion différenciée est née d’un changement de regard, d’une envie de faire autrement, d’une confrontation avec le monde vivant qui nous entoure.
La gestion différenciée
Le concept de « gestion différenciée » a été officialisé en 1994 et est devenu un objectif au niveau européen après le colloque européen « Vers la gestion différenciée des espaces verts » à Strasbourg1.
On trouve souvent une définition de la « gestion différenciée » comme une technique de gestion qui consisterait à adapter le mode d’entretien des espaces en fonction de leur fréquentation, de leur usage et de leur localisation. Mais on oublie de dire que, pour cela, il faut avoir un ensemble de compétences qui dépassent le simple geste de jardiner.
La méthodologie est simple à comprendre mais elle demande la collaboration inhabituelle et inédite d’une multitude de techniques, de pratiques et d’idées, des corps de métiers différents et avec des intérêts professionnels multiples.
Il est souvent difficile d’appliquer les conseils avisés des scientifiques à la gestion de l’espace naturel sans avoir une compréhension globale de l’écosystème concerné. J’ai visité dernièrement un grand domaine public avec un patrimoine végétal important et un dessin au sol datant du XIXe siècle. Le responsable me montre avec fierté le plan de gestion différenciée rédigé par un ingénieur pour ce domaine, comme si ce plan, à lui seul, suffisait à montrer sa bonne volonté. Il est difficile de croire à son application en voyant les allées tracées nettes, les chemins et les enrobés sans une seule « mauvaise herbe », les grandes étendues engazonnées sans défaut.
Et d’ailleurs, est-il vraiment possible d’appliquer le plan de gestion différenciée sans changer le dessin de cet espace ? Laisser dans cet endroit les allées s’enherber, ne pas découper les bordures, ne pas tondre, autant de décisions qui seraient, d’un point de vue esthétique, très mal perçues, et automatiquement assimilées à un manque d’entretien, à un abandon, c’est-à-dire tout le contraire de ce qu’une gestion différenciée veut dire, puisqu’elle est avant tout une prise de conscience du vivant et non de son délaissement.
En revanche, la possibilité de laisser des espaces traités autrement, vu l’étendue du Domaine, est tout à fait envisageable. Mais, le chef jardinier qui est aux commandes me signale qu’« il est hors de question que les gens traversent ces endroits où les herbes sont hautes, ils coucheront mes herbes et laisseront un aspect très négligé à l’ensemble ». Comme quoi herbe haute ou basse, elle est de toute façon interdite. Je lui demande pourquoi les déchets de tonte, des coupes de bois, ou tout autre déchet végétal sont constamment évacués ; la réponse est « pour des raisons administratives », car des contrats sont en cours avec des entreprises !
Des chèvres, animaux de pâture, ont été introduites pour résoudre le problème des coupes des grandes étendues engazonnées. Mais les chèvres sont enfermées dans un enclos, et occupées à détruire les arbres qui sont présents. Des chevaux aussi sont prévus mais il faut également attendre que le matériel de fauche qu’ils devront tracter soit dessiné, fabriqué et mis au point. Le conseiller forestier leur a demandé de laisser sur place des coupes faites sur les ligneux dans le bois pour encourager l’installation des salamandres. Le résultat aujourd’hui est que la quantité de bois laissé sur place est si mal rangée que le conseiller regrette lui-même son conseil.
La mise en œuvre de ces nouvelles façons de faire met en avant la difficulté de réorganiser un espace à partir d’une pensée scientifique et d’une bonne volonté mais aussi d’un manque indéniable d’imagination. Faute d’un effort minimum de réflexion sont confondus le concept, l’application et le but à atteindre.
Près de trente ans ont passé depuis les premières tentatives, les premières expériences et force est de constater que la volonté d’appliquer des méthodes plus respectueuses de l’environnement ne suffit pas pour dessiner un jardin ou un paysage nouveau.
Il faudrait commencer par mettre en ordre les idées, établir une chronologie qui permettrait d’éclairer les modes d’intervention qui ont précédé la gestion différenciée.
Une prise de conscience
Le 20 juillet 1969, pour la première fois des hommes se sont posés sur la Lune2. Les premiers pas sur la Lune sont filmés et retransmis en direct par une caméra vidéo, ils constituent un événement planétaire suivi sur la Terre entière par des centaines de millions de personnes.
Si ces images émouvantes de la Terre vue depuis la Lune sont souvent citées pour signaler la prise de conscience des problèmes environnementaux, d’autres événements ont contribué à provoquer cette prise de conscience des conséquences désastreuses de certaines activités humaines, comme la guerre. L’explosion de la première bombe atomique à Hiroshima et Nagasaki (6 et 9 août 1945) avec des impacts irréversibles sur les hommes et les écosystèmes ; la guerre du Vietnam (1964 - 1975) considérée comme la première guerre écologique, du fait qu’elle se caractérise par la volonté délibérée de détruire durablement la végétation et, par voie de conséquence, les écosystèmes au moyen d’herbicides de synthèse.
En 1962, Rachel Carson, biologiste et zoologiste américaine, provoque l’émotion collective avec la publication de son ouvrage, Printemps silencieux, qui dénonce les effets à long terme de la dissémination des pesticides, de produits comme le DDT et le dioxyde de carbone. Elle accuse également l'industrie chimique de pratiquer la désinformation et les autorités publiques de répondre aux attentes de cette industrie sans se poser de questions.
Il devient clair qu’un changement s’impose face à toutes ces catastrophes écologiques provoquées par les hommes eux-mêmes.
Depuis la première Journée mondiale de la Terre en 19703, des pays de plus en plus nombreux se mobilisent pour tenter de préserver notre planète des méfaits de l'activité humaine. Pour être précis il faudrait plutôt dire « tenter de préserver notre planète des méfaits » d’une politique et d’une économie pensées seulement pour le profit des plus riches.
Le Jour de la Terre a donné un élan sans précédent aux campagnes de sensibilisation à la réutilisation et au recyclage et a aidé à préparer le terrain pour le Sommet de la Terre des Nations Unies de 1992 à Rio de Janeiro.
Dans les milieux artistiques apparaissent les mouvements de l’art minimal, de l’art conceptuel, de l’arte povera ou du Land art, qui se caractérisent par l’utilisation de matières et de milieux naturels. Les premières œuvres du Land art ont été conçues dans les paysages désertiques de l'Ouest américain à la fin des années 1960. Les œuvres les plus imposantes du Land art, réalisées avec des équipements de construction, portent le nom d'Earthworks4. La nature n'est plus simplement représentée mais c'est en son sein (in situ) que les artistes travaillent.
Les années 1970 sont aussi marquées par le développement d'une approche plus écologique et systémique de l'écosystème urbain portée par certains naturalistes, horticulteurs et paysagistes. La thèse de Gaëlle Aggéri5 propose une bonne synthèse sur le mouvement californien des paysagistes qui vont militer en faveur des causes sociales ou écologiques : Laurence Halprin a appliqué les principes du « Happening » et du « Be-in » chers aux années 1960 à des séances publiques de création en faisant fabriquer des maquettes avec du bois flotté trouvé sur la plage. Richard Haag a recours à des tactiques de « guérilla » pour faire pression sur les instances publiques.
Dans le même esprit que Ian McHarg6 et de son ouvrage de référence, Design with nature, des prairies d’herbes hautes ponctuées de gros rochers, des affleurements de pierres tapissées d’orpins jaunes sont exploités comme attributs paysagers.
Dans ces années-là vont naître, en France, le premier Ministère de l’environnement (1971), l’École nationale supérieure du paysage de Versailles (1974), le Conservatoire du littoral (1975).
Dans cette période de constat de la consommation excessive de ressources naturelles limitées, la prise de conscience collective d'une nouvelle priorité écologique nécessite la recherche de projets urbains plus participatifs ou plus proches de la population. Les gestionnaires des espaces verts de la ville vont devoir répondre à la demande sociale de présenter des images plus « naturelles » dans les jardins publics et de diminuer les nuisances contre l’environnement. La « gestion différenciée » naît de cette volonté sociale et politique et elle est surtout pratiquée par les ingénieurs de la ville et des scientifiques, écologues, zoologiste et botanistes. Les paysagistes, sauf quelques rares exceptions, semblent peu concernés pour s’investir dans la gestion des espaces, ce qui demanderait une nouvelle manière de voir et d’exercer leur profession.
Le concept de gestion différenciée est souvent, et de manière indistincte, nommé « gestion raisonnée », « gestion écologique », « gestion optimisée », « gestion alternative », « gestion harmonique ». Plus récemment le « jardin en mouvement » inventé par le paysagiste Gilles Clément, mis en place au Parc André Citroën en 1989, va illustrer plus poétiquement ce même concept.
2. Définition et description - Le laboratoire du dehors
Le laboratoire du dehors est un groupe d’action et de réflexion qui propose une nouvelle philosophie de la pratique jardinière et du projet de paysage. Ce laboratoire a participé à l’élaboration d’un plan d'action pour « restaurer et valoriser la nature en ville » lancé le 29 juin 2009 par le ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Énergie et travaille depuis quelques années déjà à mettre en œuvre une pratique du Dehors particulière et innovante dans des lieux à part, qui peuvent paraître parfois hors normes et, de fait, difficiles à appréhender pour les sociétés contemporaines.
Le laboratoire du dehors est une démarche qui repose sur une hypothèse de gérance des espaces délaissés.
Ainsi notre premier travail consiste à observer, relever, discuter, arpenter, apprendre le vivant présent sur place. Un temps d’infusion sur le terrain nous permettra d’élaborer une cartographie du vivant et un inventaire botanique scientifique propres au lieu.
Parallèlement se mobilisent avec profit le toucher habile de la main et le regard qui détaille lors du temps de l’action sur le terrain. Ces chantiers doivent permettre en particulier de découvrir des solutions de gestion économe par des gestes jardiniers tels que réorganiser des éléments, installer des végétaux soigneusement choisis, stimuler ou contrôler l’installation spontanée d’autres végétaux, conduire les formes végétales, amender et soigner les sols, etc. Cette attitude s’inspire des principes contemporains de gestion différenciée et s’appuie sur des gestes intelligents en rapport étroit avec le site. L’enjeu est alors de réconcilier gestion environnementale et histoire de l’espace public, car le regard maîtrisé et réfléchi de dessinateur que l’on pose sur le lieu ne nous empêche pas d’en prendre soin, de l’appréhender dans une temporalité immédiate et une connaissance générale du vivant.
Nous avons remarqué l’utilité de décloisonner les approches et de mettre en regard les différentes pensées sur le vivant. Ainsi nous organisons souvent des rencontres avec des professionnels de l’espace public et de la ville (philosophes, architectes, paysagistes, urbanistes, ingénieurs, techniciens) et des scientifiques du vivant (écologues, généticiens, chercheurs agronomes, biologistes) qui nous aident à porter un regard décalé sur le dehors et le vivant qui l’habite.
Le laboratoire du dehors tire parti des expériences passées et pionnières comme celle de « la nature en ville » en 1950 par Paul Jovet, précurseur de l'écologie urbaine ; « le jardin en mouvement » en 1991, de Gilles Clément, paysagiste ; « la gestion différenciée » en 1997, d’Yves-Marie Allain, ingénieur horticole ; « le petit précis des terrains vagues » en 2005 de Gabriel Chauvel et Marc Rumelhart , paysagiste et écologues de l’École Nationale du Paysage de Versailles. Il tire également sa pratique de projets expérimentés et mis en œuvre à partir des années 2000, qui permettront d'en écrire un manifeste et d'en décrire les méthodes.
3. Les prémices du laboratoire du dehors
Les terrasses de la Condition Publique à Roubaix, 2003
1901. La poussière de la ville, quelques feuilles mortes, de la pluie et du soleil, et une première plante va pouvoir s’installer sur la toiture terrasse vide et sans vie de la Condition Publique. Cet événement presque imperceptible va mettre en route un mécanisme naturel : une plante va mourir et par ce fait favoriser la vie. Plus d’un siècle plus tard en montant sur la terrasse de la Condition Publique, on découvre une prairie, un jardin que la nature a fait toute seule.
La terre de ce jardin est celle d’origine. C’est la « poussière de la ville ». Celle qui s’est accumulée sur la toiture terrasse de la Condition Publique depuis sa création. Cette terre âgée de plus d’une centaine d’années représente la mémoire du lieu. La végétation qui s’étendait sur toute la surface a dû être décapée et descendue de la terrasse, en 2003, pour que les travaux d’étanchéité puissent être réalisés. La terre et les végétaux ont été stockés dans environ 300 sacs d’un mètre cube chacun dans l’un des bâtiments de la Condition Publique, au rez-de-chaussée. Nous avons remonté ces sacs en 2004. La surface de la terrasse a été réduite, elle occupait à l’origine une surface totale de 2000 mètres carrés, avant que la salle de spectacle ne soit construite. L’excédent de terre a été déposé sur un terrain en ville et fait l’objet d’un atelier de dépollution par les plantes.
Pour faire les travaux d’étanchéité, une équipe de plus d’une quarantaine de personnes a travaillé pendant une année à déplacer toute la végétation existante afin de la remettre en place après les travaux.
Les terrasses sont une partie importante de l’identité de la Condition Publique, elles sont l’exemple de l’inattendu, d’une vie qui se fait sans notre intervention et, malgré la banalité de chacune des espèces qui la compose, l’ensemble devient exceptionnel.
Dans un objectif de sauvegarde et de conservation de notre patrimoine naturel, de valorisation auprès du public, les terrasses de la Condition Publique sont devenues un lieu d’intérêt scientifique et pédagogique.
Il faut monter sur la terrasse de la Condition Publique pour voir la ville. Ce que l’on aperçoit d’abord de la ville, de manière isolée, ce sont les gens, puis les maisons, les plantes, la nature. Cette perception n’a de sens qu’à travers un système de relations qui lient ces éléments entre eux, aux individus et à leur environnement. On peut considérer ainsi la ville comme un écosystème urbain ayant une identité unique : ce sont les humains avec leurs connaissances, leur travail, leurs expressions culturelles et sociales, qui l’habitent. C’est la dimension humaine qui donne à la ville sa richesse et sa singularité. Mais l'humain n’est pas seul, d’autres êtres vivants l’accompagnent, des espèces végétales qu'il a plantées ou non, d’autres espèces animales, domestiquées ou non. La nature en ville est étroitement liée à l’humanité et à son histoire.
Dans la ville, la plante est souvent oubliée comme être vivant. La plante n’est qu’un élément décoratif comme les lampadaires, bancs et autres objets urbains. Le végétal devient anonyme, « arbre d’alignement, plante à massif, arbuste taillé ». L’arbre planté devant notre immeuble, comment s’appelle-t-il ? Pourquoi y a-t-il tant de buddleias le long de la voie ferrée ? D’où viennent-ils ? Cet entourage végétal proche nous laisse souvent indifférent. Pourtant ces plantes participent à la mémoire des lieux et à travers l’explication de leur présence, c’est notre histoire qui nous est racontée. Si, malgré les désherbants ou les services d’entretien, on trouve des raiforts à la gare de Roubaix, c’est parce que des immigrants polonais, qui affectionnent tout particulièrement ce légume, sont venus travailler dans les mines il y a un siècle. Ces êtres vivants sont les témoins de notre histoire. Le regard et l’attention portés à une plante nous apprennent quelque chose sur nous-mêmes. La nature en ville n’est pas un simple objet esthétique mais un lieu d’expérimentations culturelles et sociales.
Le 1% scientifique en 2005 : le projet manifeste de la piscine de Bègles
En référence au 1% culturel, qui est le pourcentage du coût de la construction d’un programme public alloué à un artiste pour y développer un projet7, Patrick Bouchain, architecte, a imaginé et généralisé la stratégie du 1% dans ses chantiers, par exemple, le 1% solidaire. De notre collaboration et de nos amitiés est née l’idée de créer un 1% scientifique liée à tout projet de paysage, à tout projet d’architecture.
Le chantier a le privilège d’un premier regard, comme le regard d’un visiteur qui voit le détail, le particulier qui donne à l’ensemble sa cohérence. Ce détail est là dans la banalité de tous les jours, présent à tous mais invisible dans l’omniprésence.
Le « 1 % scientifique », le « 1% à penser », signifie se poser des questions sur ce qui nous entoure, sur ce qui est tout près ; le « 1% à penser » détaille l’existant.
Ce dispositif aisé à mettre en place dans le contexte d’un marché public traditionnel, de la même manière que le « 1% culturel », ou encore le « 1% social », permettrait de proposer un lieu et un temps d’expérimentation pendant la durée du chantier à des universitaires et chercheurs, un temps pour essayer, si difficile à trouver par ailleurs.
Dans les années 2000, les économies d’eau sont désormais à l’ordre du jour et il convient de développer des projets permettant de réduire la consommation d’eau et de réutiliser intelligemment les eaux usagées.
Nous avons proposé à la ville de Bègles le principe du « 1% scientifique » pendant la durée du chantier de rénovation de la piscine municipale. L’Atelier de Phytoremédiation s’est déroulé sur le lieu même du chantier et pendant toute sa durée, de septembre 2005 à avril 2006.
Une convention avec l’Université de Sciences Bordeaux III et L’Institut Egid a été signée pour que des étudiants puissent suivre l’expérience. C'est en effet, Aline Magra, qui a réalisé l'expérimentation dans le cadre de son mémoire de fin d'études pour l’obtention du titre d'ingénieur maître.
Dans le cadre de la rénovation de la piscine Art Déco de Bègles, un projet de phytoremédiation a ainsi vu le jour. L’objectif de l’étude est de créer un système biologique viable en aval du réseau de rejet des eaux de la piscine, dont le rôle est de dé-chlorer l’eau afin de la rendre compatible avec une évacuation directe dans le milieu naturel. L’eau pourra ainsi être réutilisée pour alimenter une cuve servant à l’arrosage des espaces verts limitrophes de la piscine. Le système biologique est constitué de plantes adaptées au milieu aquatique et réparties de manière raisonnée en fonction de leur habitat. Le but de cette étude est d’étudier la cinétique de dégradation du chlore en fonction de différents milieux et de définir les caractéristiques de croissance et de résistance des plantes.
4. Méthodologie issue des expérimentations
Nous nous sommes proposés de divulguer, d’enseigner et de partager notre expérience. Nous avons comptabilisé les dépenses nécessaires pour la réalisation de l’ouvrage commandé et avons divisé par le nombre de mètres carré que nous avions à traiter. Ce calcul nous a permis de montrer que notre manière de travailler s’aligne parfaitement, d’un point de vue financier, sur le tarif traditionnel du marché. Nous avons questionné les composants de cette matière de travail, ce qui nous permet de résoudre des situations jusque là pensées comme ingérables et impossibles dans des contextes quotidiens.
Expérimentation
Notre territoire est dehors ; le dehors qu'on habite, partage, construit, fabrique, est nôtre. Ce dehors n’est pas de l’Art qui devient Paysage, mais une rencontre inhabituelle, puisque ces deux disciplines semblent au départ n’avoir rien à voir l’une avec l’autre. Ce qui nous intéresse se situe entre les deux, il a sa propre direction, son propre devenir et une identité singulière car polymorphe, s’adaptant aux différents lieux pour toujours se réinventer. Le laboratoire du dehors a été créé parce que, définitivement, on ne travaille plus seul. Nous ne sommes plus des artistes solitaires, ni des paysagistes isolés, nous travaillons en équipe, en bande.
Le laboratoire du dehors est fait d'expériences, de constatations et de réflexions qui déjà nous font pencher vers l’avenir.
Nos actions s’appliquent à des situations particulières avec une pensée qui ne se limite pas à analyser le contexte, mais s'élabore également comme une pensée in situ. Cette manière de « faire projet » demande de ne pas énoncer des règles générales de pensée et d'action. Tout au contraire, elle porte attention au particulier, au détail, à l'ordinaire. Nos actes donnent à voir ce qui est déjà là mais invisible au regard des autres. Notre protocole de travail passe par différents temps et par différentes échelles de territoire.
Pour commencer, nous prenons place sur les lieux avec une description narrative de tout l’existant sans exception. Cette manière de faire du projet ne peut pas se faire sans être là, ceci demande de l’expérimentation, de tenir compte de l’exception, de ce qui est en dehors de la règle et enfin d'accepter l’imperfection. Pour ce faire, il faut de l'adaptabilité et de l'improvisation. Et dans cette première appropriation des lieux nous prenons soin de ne faire que du provisoire et du réversible. Nous nous plaisons dans cette insaisissable liberté qui nous balance entre l'incertitude et l'évidence.
Dans les projets d’architecture et de paysage, on voit aujourd’hui couramment l'opposition de celui qui « sait » sans « faire » et celui qui « fait » sans « savoir ». Celui qui serait sur le terrain à faire du « projet », et celui qui resterait à dessiner, à penser son « projet » dans son atelier.
Pour pouvoir sortir de cette dualité et pouvoir enfin profiter de la fascination d’être dehors et, dans le même temps, de pouvoir penser, dessiner, s’informer, lire, nous devions inévitablement tenter l’expérimentation comme mode opératoire.
Le questionnement, l'expérimentation, la curiosité scientifique, l’accès à des connaissances, mais aussi l’intérêt pour ce qui est déjà là, ce qui est délaissé, le rien, l'inconnu, ce qui reste, l'étranger, l’autre, tout ce qui nous entoure, qui compose notre dehors, tous ces éléments qui forment un environnement font corps et habitent nos projets. Nous travaillons ensemble sur le terrain et nous témoignons de nos expériences, de nos doutes, chacun à notre manière, avec nos outils propres. Du cahier de chantier à la trace artistique, du singulier au collectif, de la terre au papier, du Paysage à l’Art, du dehors au dedans, notre laboratoire du dehors, tente de relater ces liens-là, inhabituels et peu communs.
Notre laboratoire du dehors est fait d’expériences, de constatations et de réflexions qui déjà nous font pencher vers l’avenir. L’environnement qui nous entoure est instable, incertain, hasardeux. Cette réalité n’obéit à aucune règle, toujours variable et imprévisible. Notre intention est de prendre l’existant comme une expérimentation. Ordre et désordre, vérité et erreur, raison et folie sont complémentaires.
Même un résultat négatif est utile pour progresser. L’expérimentation autorise l’erreur et la correction, elle produit la prise de conscience que toute connaissance est inachevée. L’inachèvement n’est pas frustration, c’est au contraire ce qui, constamment, laisse le champ libre pour enquêter. Devons-nous poursuivre une perfection inexistante dans l’idée d’un ordre prédéterminé de la nature ? Sommes-nous à jamais des êtres achevés, finis ? Cette prise de conscience est le passage obligatoire pour penser de nouvelles manières de faire.
Prendre soin
Nous privilégions les actions et les gestes détaillés, qui nous permettent de rendre un lieu aimable pour nous et pour les autres. Faire pour les autres, prendre un balai et balayer une rue, un espace commun. Prendre la place des gens qui sont à notre service dans la ville pendant une journée, faire à leur place, pour comprendre leurs malaises et leurs manques. Faire tout avec peu.
Imperfection
Le laboratoire du dehors ne dispose pas d’un savoir-faire acquis, d’où les tâtonnements. Nous mettons au point des manières de faire en procédant par essais et erreurs. Notre action n’est donc pas immédiatement adaptée, elle n’a pas la perfection de techniques déjà apprises. Le laboratoire du dehors doit tout inventer, tout apprendre, ses hésitations et ses échecs le font avancer. Il transforme son milieu et se transforme lui-même par son travail. La reconnaissance de l’imperfection met en doute des normes que jusque-là on pouvait trouver idéales. L’idée, le mot, l’idéologie, la méthodologie peuvent être aussi sources d’erreur. Cultiver l’imperfection, c’est aussi ne pas imposer une méthode, une recette, une idée ; mais au contraire, être toujours ouverts à la rencontre de ce qui va décider d’un chemin à parcourir.
Incertitude
Nous sommes aujourd’hui face à des sciences modestes qui ne cessent de rappeler que leurs résultats ne sont que des vérités temporaires, « falsifiables », susceptibles d’être remises en cause. L’incertitude peut être valorisée positivement.
Cette notion d’incertitude doit être aussi incluse dans la gestion de l’espace, pour pouvoir imaginer et expérimenter plusieurs scénarios des avenirs possibles. La biodiversité, le développement durable, voilà des concepts bien à la mode qui ont peut-être aidé à modifier le discours des gestionnaires de l’aménagement. Mais dans la pratique, les habitudes bien ancrées ont la vie dure. Utiliser moins de pesticides, limiter la pollution, protéger une nature exclusive, ce sont des principes prônés par les ONG de protection de la nature. Les scientifiques qui se prêtent à la bonne cause suivent aussi cette tendance. Loin d’être erronés, ces discours restent souvent réducteurs et portés par des intérêts et des idéologies politiques. On dénonce par exemple une perte de la biodiversité et, en conséquence, une banalisation du paysage. Mais on oublie souvent d’expliquer dans leur ensemble les éléments historiques, idéologiques et culturels qui nous amènent aujourd’hui à une telle préoccupation sur l’état de notre planète. La part de vérité contenue dans ces principes et la juste cause qu’ils sous-tendent, celle de défendre notre planète, ne doit en aucun cas faire taire l’esprit critique.
Dans nos jardins, dans nos aménagements urbains, nos haies pavillonnaires, le long des aménagements routiers, nous plantons, inlassablement, toujours les mêmes végétaux. Les talus, les fossés, les abords des routes et des champs sont le refuge de quantité de plantes venues du monde entier, de plantes qui ont été chassées des champs par les pesticides ou échappées des jardins, des « plantes du voyage ». La banalisation du paysage n’est certes pas le résultat de ces végétations spontanées, qui poussent là où on ne les attend pas, ni de la propagation de plantes modestes, venues d’ailleurs, traitées aujourd’hui d’« envahisseuses » ou encore de « pestes végétales » et qui s’accommodent des sols délaissés. Reste que ces plantes sont aujourd’hui dénoncées, selon un discours scientifique convenu, comme étant l’une des causes de la perte de la biodiversité. C’est dans cette incertitude que notre laboratoire interroge le monde qui l’entoure.
Exception
Dans les commandes d’aménagement du territoire que nous recevons comme des problèmes à résoudre, dans la majorité des cas, il y a des sites exceptionnels. Exceptionnels pour nous, par leur liberté, exceptionnels pour le commanditaire qui n’y voit souvent qu’incompréhension, désordre, confusion. Ces territoires s'extraient de l’ensemble de la ville, d'un ordre, d'une règle. Nous les qualifions d’exceptionnels dans le sens où ils refusent la norme qu’on voudrait leur imposer.
Ils sont délaissés parce qu’ils sont trop différents, trop particuliers pour être acceptés tels qu’ils sont. L'exception est nécessaire et utile socialement, une société qui tenterait de réduire l'exceptionnel deviendrait une société stérile. A la fois contre la règle et en confirmation de celle-ci, l’exception promet une ambiguïté source d’émoi et d'admiration. Pour nous, les chantiers sont des jours exceptionnels, nous pourrions les imaginer comme ces jours de grève générale dans la ville où tout s’arrête et où les règles du quotidien n’ont plus à être. Nous parlons avec des gens que nous ne connaissons pas et auxquels nous n’aurions jamais eu l’idée d’adresser la parole. Nous posons des questions à tout le monde, à ceux en uniforme comme à ceux qui traînent, l’air désabusé. Toutes les astuces sont bonnes pour arriver à notre but.
Cet état d’exception a ses propres règles : humanité, entraide, pas de distinction ni de hiérarchie sociale. Pendant ces journées de chantier, l'état d'exception n'accomplit ni ne transgresse la loi : il en crée une nouvelle. C’est dans cette exception humaine et collective que réside le succès du chantier entrepris.
Improvisation
C’est l’absence de forme qui nous intéresse dans l’improvisation. Lorsque les projets sont complexes et les contraintes importantes, le laboratoire du dehors est chargé de développer des projets innovants d’une façon efficace et créative.
Que concéder à la réalité du terrain, du moment ? Quelle décision prendre face à ce qui nous apparaît tout d’abord comme une embûche sur notre parcours, une tuile ? Comment se positionner face à ce qui se manifeste ensuite comme une chance, une occasion ? C'est la question du désordre qui finalement nous libère. Comment accueillir l’imprévu, l’accepter, le mettre de notre côté ?
Réversibilité
Notre travail réalisé sur le terrain permet une approche originale, une préfiguration que l’on pourra arrêter là, modifier ou laisser se défaire. Cette inclination nous invite à toujours redéfinir notre attitude face à des lieux que l’on ne fait que traverser. Nous les abordons alors sous l’angle d’une logique esthétique et sociale toujours singulière. On ne s'approprie pas les lieux, on y passe, on en prend soin. Nous nous posions la question du devenir de ces espaces parmi leurs habitants, de ces ‹ dehors › que notre laboratoire interroge à travers ses recherches. Une brèche est ouverte : la transformation sera acceptée, ou non. Mais le résultat, sa discrétion, rendent possible le changement.
5. Mise en œuvre : les Murs à Pêches à Montreuil
La ville de Montreuil missionne Liliana Motta / Laboratoire du dehors en octobre 2013 pour la Mission de restauration paysagère du carrefour Saint Antoine / Nouvelle France. Ce marché en procédure adaptée est financé par la ville pour un budget total de 80 000 € TTC sur deux ans, jusqu’en 2015. L’enjeu de la mission est de créer et de qualifier des espaces publics dans les Murs à Pêches. Il ne s’agit pas uniquement d’aménager des parcelles mais aussi de faire en sorte que ces espaces soient perçus, considérés et respectés comme des espaces communs, au bénéfice de tous. Cette mission se définit également comme une préfiguration des évolutions à venir dans le quartier.
Cette commande fait suite à une première mission dans un autre secteur des Murs à Pêches, impasse Gobétue, conduite en 2012. Il s’agissait de créer un chemin public à travers plusieurs parcelles, accessible depuis la rue, ainsi qu’une parcelle publique.
Deux sites distincts, aux contextes sociaux très différents, mais partageant un terreau conflictuel générant une quasi-privatisation de l’espace public, qui nous amène rapidement à reformuler la mission : ramener par l’aménagement paysager la tranquillité et le droit commun.
Territoire relégué
La présence ostentatoire des ordures dans le territoire des Mur à Pêches reflète bien le dysfonctionnement et le conflit existant avec le pouvoir public. Aujourd’hui c’est un territoire relégué, un dépotoir polyvalent pour les ordures sauvages, les épaves automobiles et les petits récupérateurs marginaux. Demain c’est un territoire qui doit inexorablement se transformer avec l’agrandissement de la ville et qui deviendra « un espace paysager de détente verte » après l’amélioration des lignes de liaisons urbaines. Il n’est pas dit, mais il est certain, qu’un espace rénové doit filtrer et repousser plus loin les indésirables, les nuisances, les ordures, les exclus pour donner place aux bonnes valeurs et aux belles images. La localisation de ces déchets révèle bien le sentiment des habitants de ces rues, celui d’être déconsidérés. Les « déchets » apparaissent comme le problème central de ce territoire.
Le site est exceptionnel, mais imperceptible depuis l’extérieur. Depuis la rue, personne ne peut se douter de ce qui se passe à l’intérieur de ces murs délabrés. La végétation est omniprésente. Le foncier est réparti en trois parts : la Ville, le Conseil Départemental et des propriétaires privés. Des parcelles de propriété publique ont été mises à dispositions d’associations et de jardiniers familiaux qui par leurs activités ont permis d’entretenir et de faire vivre une partie du site. D’autres parcelles sont encore cultivées par des horticulteurs actifs ou retraités. Il y a quelques habitations classiques, anciennes maisons d’horticulteurs ou pavillons des années 60, pour la plupart habitées et bien entretenues.
Certaines parcelles sont occupées, en convention avec la ville, par des gens du voyage ; dans ce cas les parcelles ont des sols minéraux et les caravanes sont organisées souvent autour d’un axe de circulation central. D’autres parcelles sont squattées par des gens qui manquent des moyens minima, vivant dans une extrême pauvreté. Pour certaines, des familles qui ne veulent pas se joindre à une vie sociale en dehors de leur territoire et qui respectent seulement un ordre imposé par des chefs de famille. Vivant en communauté fermée, ils refusent le partage de l’espace et les règles qui le sous-tendent, ils ont leurs propres règles et forment ce qui s’apparente à un ghetto. C'est bien le premier obstacle qui parait insurmontable et qui provoque en conséquence la violence dans le quartier.
Tout autour, la plupart des parcelles privées sont en friche ou occupées par des entreprises plus ou moins bien adaptées à ce territoire.
La mesure de classement par le ministère de l’Écologie au titre des « sites et paysages » en 2003 ne fait pas l’unanimité auprès des habitants. Certains propriétaires se sentent dépossédés de leur bien ; ceux qui ne sont pas propriétaires ou squattent craignent d’être délocalisés, ce qui contribue au climat de tension.
Plusieurs projets sont en cours pour réhabiliter le site au regard du projet agriculturel général. La ville et certaines associations défendent l’idée d’une agriculture urbaine et d’autres critiquent vivement tout changement de la friche actuelle. Ces dernières associations ne sont évidemment pas d’accord pour laisser circuler le public librement dans le site, invoquant l’insécurité du voisinage.
D’une autre part, on constate que les associations choisies par la Ville pour son intérêt dans le projet agriculturel, ont malheureusement une culture horticole et écologique sommaire et ont des problèmes à assurer la bonne tenue de leurs parcelles et une production horticole efficace. À cette situation technique s’ajoute un manque d’organisation collective : il n’existe aucune mise en commun des savoir-faire et connaissances, ni d’outils essentiels tels qu’une pépinière et un compost collectifs.
À cela s’ajoute une méfiance vis à vis des autres occupants du site, les gens du voyage en particulier, certes peu commodes pour certains, méfiance qui emplit le quotidien de peurs et de dénonciations plus ou moins justifiées. Une grande partie de l’énergie des occupants est dépensée dans le conflit au lieu d’être mise au profit d’un projet collectif ou à minima, concerté.
On pourrait finir par oublier, dans un tel contexte, que ce territoire est un site classé, labellisé en 2020 « patrimoine d’intérêt régional » par le Conseil régional d’Île-de-France, un patrimoine qui appartient à tout le monde. Le statu quo installé depuis plusieurs décennies a laissé libre cours à une appropriation spontanée et une privation symbolique de l’espace, tant du côté des associations que des gens du voyage. Cet empilement d’initiatives et d’intérêts privés laisse peu de place à l’espace public ou au moins, commun. La morphologie même de ce paysage, son parcellaire et ses murs, ne favorisent pas son ouverture. La valeur d’usage des murs ayant changé, ces derniers ne sont quasiment plus utilisés pour leur fonction de culture mais davantage pour signifier l’espace privé.
C’est dans ce contexte épineux, où tout projet semble paralysé par des intérêts contradictoires et difficiles à démêler à court terme, que nous arrivons avec nos outils et nos compétences de paysagistes et de jardiniers. Avec l’idée que notre approche pourrait instaurer une médiation entre les différents acteurs du conflit. Le travail réalisé sur le terrain permet une approche originale qu’on pourrait comparer à une maquette à l’échelle 1 du projet que la Ville de Montreuil pourra mener à bien sur le site.
Alors qu’il est toujours problématique de comprendre un plan ou de lire une programmation, l’action sur le terrain permet une préfiguration qui installe un climat de confiance vis-à-vis des intentions de la Ville sur le projet collectif des Murs à Pêches.
Méthode
Un premier tour de terrain collectif permet d’identifier les principales structures existantes autour du projet : associations, habitants, usagers du site, et donc de mesurer les contraintes et conflits d’usages et l'univers dans lequel on est, ses enjeux. L’équipe fait ensuite un relevé le plus précis possible de l’ensemble du site : relief, terre, eau, constructions, voiries, clôtures, ensembles vivants, déchets. Cet inventaire de l’existant est suivi d’un relevé floristique précis.
Cette première étape permet de mettre en exergue l'état latent, ce qu’il apparaît comme important de conserver, de modifier, ou de supprimer, et ce qui sera moteur de projet. La réflexion in-situ, l’élaboration d’une esquisse puis le passage à des actions de jardinage amorcent le travail de mise en valeur de la végétation existante jusque-là mal comprise.
Un journal de chantier est rédigé à chaque intervention, afin de mémoriser les différentes tâches entreprises, ce qui les motive, leur mise en œuvre, leur mise au point, le temps nécessaire à leur réalisation, leur dimensionnement. Ce journal est utile à l’équipe du laboratoire comme aux différents acteurs impliqués dans le projet pour construire et renseigner l’étape suivante.
Le projet a été réalisé en 10 chantiers entre décembre 2013 et octobre 2015, chacun durant entre 3 et 5 jours.
Nous intervenons sur deux sites proches qui trouveront leurs noms au cours du projet : le Carrefour et La Parcelle du Frêne.
Conclusion
Cette mission de restauration paysagère a fonctionné, pour nous, comme un observatoire privilégié sur le quartier. Elle nous a permis de considérer, avec une attention particulière, la nature et les hommes qui habitent le quartier. Le travail en chantier nous a permis de laisser les à priori de côté.
Les parcelles travaillées ont permis d’appréhender une philosophie de projet et des techniques de jardinage économes dans la gestion des espaces en ville. La réflexion in-situ, l’élaboration d’une esquisse, puis le passage à des actions de jardinage ont amorcé le travail de mise en valeur de la végétation existante, jusque-là perçue comme nuisible ou dégradée.
Les ordures ont été évacuées de certains lieux, des espaces communs ont été aménagés, qui ont permis des rencontres telles que le grand festival des Murs à Pêches et la création de lieux de rencontres et de discussion. Toutes ces réalisations, et le fait de nous voir travailler, femmes et hommes ensemble, sans hiérarchie et dans la bonne humeur, nous ont permis de nous insérer dans le quartier et d’être connus de tous les habitants ; c’est le bénéfice à tirer de notre statut où coexistent le concepteur et le jardinier.
D’autre part, les aménagements que nous avons réalisés, légers et réversibles, ont initié un changement de physionomie du carrefour des rues Saint-Antoine et Nouvelle France, installant ainsi un premier niveau de confiance entre l’équipe et les habitants. Un quartier où s’exprime la différence : dans la forme des espaces, dans la diversité des sols, dans les formes d’habitat végétaux, humains, et animaux. Dessiner ces lieux, c’est installer les conditions de rencontre. C’est dessiner l’espace commun, c’est ouvrir un quartier aujourd’hui enclavé, territoire de confit, fermé au reste de la ville, aux voisins et aux passants.
Ces lieux délaissés sont des ressources, des lieux où une écologie solidaire peut prendre place. Nous voulons prendre soin de ces lieux où s’exprime le commun, prendre soin d’une nature banale et ordinaire, celle de notre quotidien. C’est dans ce prendre soin que se dessine notre dehors.
Ont collaboré avec le laboratoire du dehors :
Yves-Marie Allain, ingénieur horticole ; Sébastien Argant, paysagiste dplg ; David Bellamy, paysagiste dplg ; Jean-Marie Bourgès, paysagiste dplg ; Adrien Biewers, paysagiste dplg ; Yvan Cappelaere, paysagiste dplg ; Antoine Hibou Cwancig, paysagiste dplg ; Jean-Christophe Denise, architecte dplg ; Léon Denise, artiste numérique ; Simon Denise, artiste ; Patrick Degeorges, philosophe ; Capucine Dufour, paysagiste dplg ; Alexis Feix, paysagiste dplg ; Camille Frechou, paysagiste dplg ; Thomas Irasque, paysagiste dplg ; Alexandre Malfait, paysagiste dplg ; Laurence Robert, artiste paysagiste dplg ; Damien Roger, paysagiste dplg ; Laura Roubinet, paysagiste dplg ; Adrien Rousseau, paysagiste dplg ; Linda Seyve, artiste paysagiste dplg ; Margaux Vigne, paysagiste dplg ; Cyrille Weiner, photographe
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- Cet évènement a été célébré pour la première fois le 22 avril 1970. Le Jour de la Terre est aujourd’hui reconnu comme l’événement environnemental populaire le plus important au monde. Le fondateur de cet événement est le sénateur américain Gaylord Nelson. Il encouragea les étudiants à mettre sur pied des projets de sensibilisation à l’environnement dans leurs communautés.
- Un « Earthwork », littéralement terrassement, est un terme anglais utilisé pour désigner une œuvre d’art créée dans la nature et dont le matériel de base est la terre.
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- Instauré en 1951, le 1% culturel est depuis encadré par le décret n°2002-677 du 29 avril 2002, dont l’article 2 précise que « le montant, toutes taxes comprises, des sommes affectées est égal à 1 % du montant hors taxes du coût prévisionnel des travaux, tel qu’il est établi par le maître d’œuvre à la remise de l’avant-projet définitif » et que ce montant « ne peut excéder deux millions d’euros ».